Alors que nous sommes toujours lancés sur la trajectoire d’un réchauffement de +4°C d’ici 2100, naturalistes et chercheurs se sont posés une question : que restera-t-il de la faune et de la flore à cet horizon en Nouvelle-Aquitaine ? Papillons, lézards, grenouilles, marmottes, libellules, criquets et végétation de leurs habitats… bon nombre des espèces sentinelles du climat suivies depuis 6 ans verront leurs populations s’amoindrir, leurs aires de répartition se réduire peu à peu jusqu’à parfois disparaître. La biodiversité néo-aquitaine actuelle est inexorablement vouée à un appauvrissement drastique. Diminuer nos émissions carbone reste bien sûr une priorité absolue. Mais réduire les pressions anthropiques et maintenir l’hétérogénéité des habitats apparaissent chaque jour plus urgents pour préserver des refuges climatiques et sauvegarder ces espèces.
Canicules, sécheresses, orages violents, incendies, dômes de chaleur, inondations, gelées… chaque année nous apporte désormais son lot de manifestations du dérèglement du climat. La crise climatique nous impacte, touche tous les vivants et vient accentuer un effondrement de la biodiversité provoqué par les activités humaines. Notre région, la Nouvelle-Aquitaine, ne déroge pas à la règle et, depuis 6 ans, le programme scientifique Les sentinelles du climat documente et développe la connaissance du phénomène sur la biodiversité locale.
Les suivis sur le terrain, les protocoles et les travaux de modélisation ne laissent pas beaucoup de place à l’optimisme. Comme les autres papillons de pelouses sèches, dites calcicoles, et à supposer qu’il trouve les moyens de se déplacer, le Nacré de la Filipendule devrait voir son aire de répartition se concentrer dans quelques rares secteurs tout au nord de la région. Le climat des
Pyrénées aurait pu lui être favorable… mais la Filipendule, plante vivace indispensable à son développement, n’y sera pas présente. Même les espèces pour le moment plus abondantes devraient continuer à diminuer avec l’augmentation graduelle des températures maximales enregistrées. Alors même que les pelouses sèches voient déjà apparaître une végétation plus adaptée à la sécheresse comme dans les garrigues, les cortèges de papillons de ces habitats vont tendre à une méditerranéisation, vraisemblablement selon un axe qui suivra la Garonne.
En montagne, les résultats suivent la même tendance. L’Apollon, un grand papillon dont la chenille a besoin de neige pour s’isoler du froid l’hiver, devrait disparaître d’ici 2100 si nous ne diminuons pas nos émissions de gaz à effet de serre : avec la chute du nombre de jours de neige les secteurs où le climat lui est favorable se réduiraient de 97%. D’autres papillons, plus communément observés en plaine comme le Demi-Deuil, prendront en principe de l’altitude à mesure que les températures maximales augmenteront. Ce phénomène s’observe d’ailleurs déjà chez les lézards de montagne : depuis 2011, le très commun Lézard des murailles a gagné 122 m d’altitude sur un des sites suivis autour de 2000m : une population est en cours d’installation là où seul le lézard de Bonnal, endémique de la partie centrale des Pyrénées, était présent jusqu’alors.
Dans les milieux humides, le constat n’est pas meilleur. Seul le scénario le moins pessimiste (voire utopique) d’une hausse des températures contenue en dessous de +2°C donnerait une chance à l’Azuré des mouillères de trouver quelques aires climatiques favorables en Limousin, dans les Pyrénées et la pointe girondine à horizon 2070, à condition qu’il y trouve ses hôtes et qu’il puissent s’y déplacer. Le maintien de ces refuges climatiques reste par contre bien incertain d’ici 2100… Plus généralement, les printemps chauds et secs sont déjà défavorables aux espèces de landes humides. Ainsi, les espèces de papillons spécifiques à ces milieux sont moins observées et leur cycle de développement est plus précoce d’une semaine. La Rainette ibérique suit la même tendance. La petite grenouille peut cependant résister à des conditions desséchantes en se plaquant contre la végétation : ce comportement lui permet de limiter ses pertes hydriques cutanées. Ainsi, le maintien d’une diversité de microhabitats à une petite échelle spatiale est essentiel à la sauvegarde de l’espèce dans quelques refuges climatiques.
Sur la dune atlantique aussi, il est capital de préserver l’hétérogénéité des habitats. Cette mosaïque paysagère offre au Lézard ocellé la possibilité de tamponner les effets du changement climatique. Mais face au recul du trait de côté et à la disparition de la dune atlantique, les populations de Lézard ocellé s’amenuisent et se morcellent. Dans ces conditions, pourquoi ne pas intervenir sur la frange forestière, milieu anthropique planté au 19è siècle, pour reconnecter les patchs de dune grise et offrir au plus gros des lézards européens des couloirs de déplacement ?
L’ensemble des résultats obtenus pour toutes les espèces sentinelles du climat étudiées sont compilés dans la synthèse publiée en ce premier semestre. Et les constats convergent : la préservation de la biodiversité face au changement climatique n’est pas réaliste sans la réduction des pressions anthropiques liées aux activités humaines et le maintien de l’hétérogénéité des habitats et micro-habitats. Qu’on se le dise : le vivant n’attend pas.
Pour aller plus loin :
Télécharger la synthèse des résultats : https://bit.ly/Sentinelles_Synthèse
Le replay du colloque de restitution : https://bit.ly/Sentinelles_LeColloque
Les vidéos courtes du programme : https://bit.ly/Sentinelles_LesVidéos
L’exposition itinérante en Nouvelle-Aquitaine : https://bit.ly/Sentinelles_Expo